Ode Marítima

Claude Debussy, Karol Szymanowski, Álvaro de Campos

Ode Marítima

Claude Debussy, Karol Szymanowski, Álvaro de Campos

 Avec La mer de Claude Debussy, la Symphonie n°3 de Karol Szymanowski et des extraits d’Ode Marítima d’Álvaro de Campos alias Fernando Pessoa, Lorenzo Viotti et Vincent Huguet ont conçu ensemble un concert spectacle inédit.

Gulbenkian Música, Fondation Gulbenkian, Lisbonne
Grand auditorium, 22 et 23 novembre 2018

Durée : 1h30 sans entracte

Création

Direction musicale : Lorenzo Viotti
Mise en scène : Vincent Huguet
Lumières et vidéos : Bertrand Couderc
Chef de chœur : Jorge Matta

Distribution

João Grosso, acteur
Toby Spence, ténor
et Sara Afonso, soprano

Chœur Gulbenkian
Orchestre Gulbenkian
avec l’orchestre des jeunes Gulbenkian pour la symphonie de Szymanowski

Programme

Claude Debussy, La mer
Álvaro de Campos, Ode Marítima (extraits)
Karol Szymanowski, Symphonie n°3 op. 27, Le Chant de la nuit

et Chœur a cappella :
Cláudio Carneyro, As ondas do mar salgado
Anonyme, Ondas do mar de Vigo
Cláudio Carneyro, O mar canta litanias

 

Photos : © Mãrcia Lessa/Fondation Gulbenkian

Note sur la mise en scène
par Vincent Huguet

Du quai désert aux étoiles

 

« Seul, sur le quai désert, en ce matin d’été,
Je regarde du côté de la barre, je regarde vers l’Indéfini,
Je regarde et j’ai plaisir à voir,
Petit, noir et clair, un paquebot qui entre. »

Un homme est là sur les bords du Tage, immobile et silencieux. Il semble observer, il semble attendre, mais quoi ou qui ? Personne, sinon le flot de ses sensations, de ses souvenirs, bientôt de ses rêves puis de ses fantasmes, qui, comme les vagues, viennent frapper le quai désert. Le bruit de la mer, son odeur, l’air, la silhouette d’un bateau au loin, la solitude, sont les éléments dont naît ce poème de près de mille vers qu’est l’Ode maritime d’Alvaro de Campos, l’un des hétéronymes de Fernando Pessoa. Et surtout, les sensations : des plus douces aux plus violentes, elles rythment le poème, le font avancer, comme un long serpent qui parfois glisse en silence et tout en courbes gracieuses et d’autres fois se raidit, se dresse, attaque et mord.

Lorsque Lorenzo Viotti a eu l’idée de réunir dans un même concert La Mer de Claude Debussy (1905) et la Symphonie n°3 de Karol Szymanowski, (1914-16, créée en 1921), dite aussi The Song of the Night, le texte d’Alvaro de Campos (1915) s’est donc tout de suite imposé comme une évidence, sans demander son avis à personne. Parce que nous sommes à Lisbonne, certes, mais surtout parce qu’il est lui-même comme une composition, avec ses mouvements, ses tempi, ses échos qui font résonner des chansons de marins ou des complaintes remontant le courant de la mémoire, douces et mélancoliques. Nous avons donc choisi de présenter ces trois œuvres ensemble, comme on expose parfois trois tableaux qui n’ont jamais été montrés sur le même mur, trois œuvres créées dans la même décennie (1905-1915) en France, en Pologne, au Portugal, dans une Europe qui allait sombrer. Mais il n’est pas directement question de cet état du monde dans ces trois œuvres, plutôt de la façon dont on le perçoit, dont on l’espère, dont on le rêve. Si les trois « esquisses symphoniques » de Debussy évoquent trois moments (« De l’aube à midi sur la mer », « Le Jeu des vagues », « Le Dialogue du vent et de la mer ») et bien plus de sensations—contemplation, rêverie, envoûtement, déchainement, lutte, etc…—, la symphonie de Szymanowski, par son orchestration et par le mots qui sont chantés par le ténor et le chœur, et qui sont ceux du grand poète soufi du XIIIème siècle Jalal’ad-Din Rumi, explore l’attente, l’érotisme, l’extase mystique. De l’une à l’autre, on passe du quai à la mer, puis au ciel et jusqu’aux étoiles. La rêverie du promeneur solitaire devient transe mystique ; l’hypnose provoquée par les vagues et l’irisation de l’eau se prolonge dans l’invocation des étoiles. Au fond, cet homme « seul, sur le quai désert, en ce matin d’été », ce pourrait être celui qui entre dans un théâtre, ou une salle de concert : immobile et silencieux, il s’ouvre aussi à ce flot de sensations que la musique et les mots vont provoquer en lui. « En regardant la mer, vous n’aurez pas de sensations aussi fortes qu’en écoutant La Mer. », affirmait le pianiste Sviatoslav Richter à propos de l’œuvre de Debussy. Et Pessoa, encore :

« Et il y a une symphonie de sensations incompatibles et analogues,
Il y a une orchestration dans mon sang des tumultes des crimes,
Des tintamarres spasmodiques des orgies de sang dans les mers,
Furieusement, comme une tempête de chaleur à travers l’esprit,
Nuage de poussière chaude qui ennuage ma lucidité
Et me fait voir et rêver tout cela seulement avec la peau et les veines ! »

Alvaro de Campos, Ode maritime