Contes de la lune vague après la pluie

Xavier Dayer

Contes de la lune vague après la pluie

Xavier Dayer

Opéra de chambre sur un livret d’Alain Perroux, d’après le scénario du film de Kenji Mizoguchi (1953). Créé le 20 mars 2015, à l’Opéra de Rouen Haute-Normandie.

Production Opéra de Rouen Haute-Normandie, La Fondation Royaumont, coproduction Opéra Comique, avec le soutien de la SACD- Fonds de Création Lyrique et l’aide à la production et à la diffusion d’Arcadi Île-de-France.

Durée 1h40

Opéra de Rouen Haute-Normandie, les 20 et 21 mars 2015, Opéra Comique les 18 et 19 mai 2015

Création

Direction musicale : Jean-Philippe Wurtz
Mise en scène : Vincent Huguet
Décors : Richard Peduzzi
Costumes : Caroline de Vivaise
Lumières : Bertrand Couderc
Chef de chant : Alphonse Cemin
avec la collaboration de Donatienne Michel-Dansac
Assistante à la mise en scène : Céline Gaudier
Assistante aux décors : Clémence Bezat

Distribution

Ohama : Judith Fa
La princesse Wakasa : Luanda Siqueira
Miyagi : Majdouline Zerari
Tobe : Carlos Natale
Genjuro : Benjamin Mayenobe à Rouen/ Taeill Kim à Paris
L’homme sur le bateau, la gouvernante, l’armurier, un marchand de tissu, le commandant samouraï, le prêtre : David Tricou
Genichi : Louis et Lucas Bischoff (en alternance)

Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie à Rouen/ Ensemble Linea à Paris

Photos : © Vincent Pontet/Opéra Comique © Ferrante Ferranti © F. Carnuccini/Opéra de Rouen © Julie Moulier

Note sur la mise en scène
par Vincent Huguet

Contes de la lune vague après la pluie

« Ainsi tu es devenu quelqu’un ! Tu as réalisé ton rêve ! Moi, j’ai fait un autre rêve, un cauchemar. »

C’est au bord du gouffre qu’Ohama lance ces mots terribles à Tobé, dans la lumière crue du bordel où elle a échoué pendant que lui accomplissait son rêve : devenir samouraï. « Ma chute est le prix de ton ascension », lui dit-elle dans le film de Mizoguchi, où ce n’est pas tant leur âme que leurs femmes que les hommes vendent au diable pour réussir—mais en sont-ils vraiment conscients ? Mizoguchi en savait quelque chose, lui qui fut mortifié, petit garçon, de voir sa sœur aînée vendue comme geisha, mais qui put devenir artiste grâce à elle, grâce à l’argent de son sacrifice.

Deux hommes, donc, Genjuro le potier et Tobé l’aspirant samouraï, sont ceux qui déclenchent toute l’histoire : dans la quiétude du village de Kitaomi, loin de tout, on apprend un jour que la guerre va éclater. Pour leurs femmes, Miyagi et Ohama, c’est une mauvaise nouvelle, pour eux, au contraire, c’est une chance inespérée, celle de sortir de leur quotidien, d’accéder à une vie meilleure. Pour cela, il faut partir, même si c’est dangereux, vers une grande ville, il faut traverser un lac où rôdent les pirates, et la mort, il faut aller vers l’inconnu. C’est risqué ? Oui, mais peut-être moins que de rester, et, comme pour les migrants qui s’embarquent dans des canots de fortune pour traverser la Méditerranée, aucun danger n’est assez grand pour arrêter ceux qui rêvent d’une autre vie. Alors on part, avec femmes et enfant, pour un périple qui va changer la vie de ces cinq personnages en quête d’eux-mêmes. Certes, la guerre est là qui gronde et accélère leur destin, mais c’est avant tout une guerre entre eux—les hommes qui rêvent de richesse et de gloire, les femmes qui n’y croient pas—doublée d’autant de guerres intérieures. Dans ce grand chamboulement, chacun se trouve confronté à ses propres contradictions : Genjuro, chef de famille, dit partir pour améliorer la vie de Miyagi sa femme et de Genichi leur enfant, et en même temps, la furie qui s’empare de lui laisse penser que c’est peut-être l’accomplissement personnel qui prime, le désir d’être reconnu. Tobé semble prisonnier d’une obsession lancinante, égoïste, mais il avouera à Ohama que ce n’est que pour qu’elle l’admire enfin qu’il a fait tout ce chemin. Et les femmes ne se cantonnent pas au rôle de simples Cassandre ou victimes : elles aussi s’ennuient dans ce village, elles aussi désirent autre chose, et d’abord que leurs hommes changent. Alors que Miyagi semble être la gardienne du foyer, celle qui se contente de la vie comme elle va, elle avouera à la fin qu’elle rêvait que Genjuro soit un autre homme.

Ces deux couples s’entrechoquent, s’éclairent réciproquement, se séparent, se retrouvent au cours d’une chaine de désirs contraires, de décisions et d’accidents au terme de laquelle chacun sera transformé. Il y a le désir, compliqué, l’argent, la peur, l’espoir, la vérité qui se mélange au mensonge, les révélations magnifiques puis douloureuses, mais la transformation vient avant tout des autres, ceux qu’ils rencontrent dès la traversée du lac puis à la ville : une âme errante, des marchands ironiques, un commandant, un prêtre aux allures de dealer, et surtout, une princesse, Wakasa, femme fatale accompagnée d’une nourrice insidieuse qui envoûte Genjuro jusqu’à lui faire oublier sa vie d’avant. Comme dans le film de Mizoguchi, les fantômes jouent un rôle décisif dans cette histoire, et, dans la pâle clarté de la lune vague, ils sont parfois plus concrets que les vivants ; d’une certaine manière, ils sont même leur double rêvé. Wakasa la mystérieuse, la sensuelle pourrait être le contraire de Miyagi la gentille mère, mais rien n’est si simple, et elle est aussi comme un fantasme par lequel Genjuro doit passer pour se trouver lui-même et donc retrouver sa femme. Il y a une dimension initiatique dans ces contes, un parcours que chacun doit faire, une rééducation personnelle et sentimentale.

Et puis il y a Genichi, ce petit garçon qui joue, qui attend, qui pleure, qui regarde le monde des adultes à distance, qui voudrait en être et qui finalement en sera. C’est de son silence que naissent peut-être tous les mots et toute la musique des Contes de la lune vague après la pluie.