Rigoletto Giuseppe Verdi Rigoletto Giuseppe Verdi Opéra en trois actes, livret de Francesco Maria Pave d’après la pièce de Victor Hugo, Le roi s’amuse, créé au théâtre de la Fenice à Venise, le 11 mars 1851. Nouvelle production du Théâtre de Bâle Durée 2 heures 45 avec un entracte Théâtre de Bâle, du 21 janvier au 21 juin 2023 Création Direction musicale : Michele Spotti Mise en scène : Vincent Huguet Décors: Pierre Yovanovitch Costumes : Clémence Pernoud Lumières : Cornelius Hunziker Dramaturgie : Roman Reeger Chef de chœur : Michael Clark Assistant à la mise en scène : Tilman aus dem Siepen assisté de Marie-Mathis Aubert et Rebecca Ockenden Assistant chef d’orchestre : Thomas Wise Études musicales: Hélio Vida Chefs de chant : Iryna Krasnovska, Leonid Maximov, Hélio Vida Assistantes à la scénographie : Christine Lili Cheng, Lisa Ternon, Camille Daur Assistante aux costumes : Miriam Stöcklin Distribution Rigoletto : Nikoloz Lagvilava Gilda: Regula Mühlemann/Álfheiður Erla Guðmundsdóttir Le duc de Mantoue : Pavel Valuzhin Maddalena: Nataliia Kulhar Sparafucile: David Shipley/Jasin Rammal-Rykała Le comte Monterone : Artyom Wasnetsov Giovanna : Frauke Willimczik Le comte Ceprano : Jasin Rammal-Rykała/Mkhanyiseli Mlombi La comtesse Ceprano /le page : Inna Fedorii Marullo : Kyu Choi Borsa : Ronan Caillet Un huissier : Vivian Zatta La fille de Monterone/la professeure de yoga/une amie de Maddalena : Marie-Mathis Aubert Reprise du 30/11/2023 au 21/01/2024 Direction musicale : Thomas Wise Rigoletto : Nikoloz Lagvilava Gilda: Regula Mühlemann/Álfheiður Erla Guðmundsdóttir/Inna Fedorii Le duc de Mantoue : Pavel Valuzhin Maddalena: Sophie Kidwell Sparafucile: Jasin Rammal-Rykała Le comte Monterone : Andrew Murphy Giovanna : Frauke Willimczik Le comte Ceprano : Sono Yu La comtesse Ceprano/le page : Camille Sherman Marullo : Kyu Choi Borsa : Lulama Taifasi Un huissier : Vivian Zatta La fille de Monterone/la professeure de yoga/une amie de Maddalena : Marie-Mathis Aubert Chœur et supplémentaires du Théâtre de Bâle Sinfonieorchester Basel Photos Matthias Baus Note sur la mise en scène: par Vincent Huguet Des anges et des monstres Il n’a rien pour lui et rien pour plaire. « Difforme », laid, bruyant, hargneux, peut-être pas bête mais très méchant avec ceux que son maître l’envoie mordre, sanguin et suspicieux par-dessus le marché. Ainsi va Rigoletto dans cette société où c’est le dernier qui a frappé qui a raison, ministre des basses œuvres plutôt qu’amuseur public, porte-flingue d’un jeune duc hédoniste dont il orchestre les plaisirs et chasse les contrariétés. Jusque-là rien de rare, si n’était la malédiction assénée soudain par Monterone, père humilié qui par un bacio della morte sicilien ébranle le bouffon jusqu’au fond de son âme. Ce que l’on voit sur la scène, c’est un homme qui pour se venger en maudit un autre; ce que l’on ressent avec les mots de Victor Hugo et la musique de Giuseppe Verdi, c’est que cette menace ne fait que se superposer à une (con)damnation originelle, composée dès le stupéfiant prélude: on ne devient pas maudit, on naît comme ça. Sur cette injustice flagrante de la destinée, sur sa cruauté avec les plus faibles, qui n’ont d’autres choix que devenir « mauvais », Hugo a médité et écrit toute sa vie et probablement Verdi une grande partie de la sienne. Rigoletto n’est-il coupable que du mal que la société lui a elle-même fait? C’est ce qu’il dit clairement au milieu de l’acte 1, rejetant la faute sur les plus puissants, plus jeunes et plus beaux que lui. Coupables, les courtisans railleurs et serviles, forcément coupables. Mais lui? Cette question vertigineuse est au centre de chaque représentation de Rigoletto, elle en est le noyau ardent, comme dans le décor que pour la première fois Pierre Yovanovitch a dessiné, où des courbes se meuvent autour d’un cœur rougeoyant, évoquant les corolles d’une fleur grâcieuse se métamorphosant doucement en plante carnivore. Animal blessé, d’autant plus que sa femme est morte, Rigoletto avait-il d’autres choix pour survivre dans la société que de jouer son jeu? Peut-être pas, mais Rigoletto a un secret, sa seule raison d’être : sa fille, Gilda, qu’il tient cachée du regard des hommes, cette « fleur intacte et immaculée » qu’il entend protéger à jamais « des vents de la passion »… L’art n’a pas attendu l’invention de la psychanalyse pour exposer assez clairement certaines situations familiales que l’on dirait consubstantielles à la nature humaine. Au-delà de la question de l’amour parental excessif, de son ambiguïté ravageuse, c’est cette fille qui va devenir une femme qui change tout dans l’histoire de Rigoletto. Car comme on le découvre au début de l’opéra, Rigoletto a organisé la prédation du duc sur la fille de Monterone, séduite puis abandonnée, donc morte socialement dans cette civilisation patriarcale. Autrement dit, Rigoletto fait subir à d’autres ce qui est précisément son pire cauchemar et c’est là que la malédiction tombe sur lui comme un doigt divin dénonçant une faute morale. Victor Hugo a exploré avec passion cette question qui est à la fois sociale, philosophique et politique à travers les figures de Jean Valjean ou de Quasimodo, dont Rigoletto est le frère car en eux s’affrontent l’appel du mal et la possibilité de la rédemption. Mais cette rédemption viendra des femmes, Maddalena, la sœur de Sparafucile, tueur à gage avec qui Rigoletto a conclu un contrat, et surtout Gilda. Face à la loi du sang, au recommencement sans fin de la vengeance, Gilda oppose un refus d’autant plus puissant qu’elle dépasse sa propre déception amoureuse pourtant archi douloureuse avec le duc. En conflit avec son père et avec elle-même, elle sera radicale dans sa décision et, telle Juliette Capulet, elle n’aura que le pouvoir de se sacrifier pour refuser catégoriquement les règles de ce monde. On pourrait penser qu’un monstre a enfanté un ange et pourtant, c’est bien à Rigoletto que Gilda chante: « Père, c’est un ange qui parle en vous pour me consoler », lui rendant son humanité. Et ce duc, qui se dit un monstre mais séduit Gilda en parlant du Ciel, et Sparafucile, ange de la mort… Car c’est de cela qu’il est tout le temps question ici, de notre humanité, de notre capacité à vivre avec ceux qui nous entourent, à les aimer, à les protéger, à les craindre, à leur faire du bien ou du mal, voire à les détruire et la plupart du temps sans décider vraiment, parfois carrément à l’aveuglette comme si le destin s’en chargeait lui-même. La seule qui dans ce tourbillon comprend tout, c’est Gilda, malgré sa jeunesse, son innocence, elle perçoit qu’elle peut avoir prise sur sa vie… en mourant. Mais c’est elle qui l’aura décidé, érigeant avec son tombeau le plus puissant monument à l’amour.