Don Giovanni Wolfgang Amadeus Mozart Don Giovanni Wolfgang Amadeus Mozart Il dissoluto punito ossia il Don Giovanni, dramma giocoso in two acts, libretto by Lorenzo Da Ponte, created in Prague in 1787. Third part of the new production of the Mozart Da Ponte trilogy at the Staatsoper unter den Linden conducted by Daniel Barenboim and staged by Vincent Huguet, Berlin 2020-2022 Running time 3h30 with an intermission Staatsoper unter den Linden, premiered on April 2d 2022 and performed on the 10th and 17th during the two runs of the complete trilogy during the Berlin Festtage then on the 20th of April. Filmed by Andy Sommer the 17/04, conducted by Thomas Guggeis. Creators Conductor : Daniel Barenboim/Thomas Guggeis (17&20/04) Director : Vincent Huguet Set : Aurélie Maestre Costumes : Clémence Pernoud Lights : Irene Selka Dramaturgy : Louis Geisler Dramaturgy Staatsoper : Dr. Detlef Giese Vidéo: Robert Pflanz Choir master : Martin Wright Assistant director : Sophie Petit Assistant director Staatsoper : Heide Stock Assistants conductor : Thomas Guggeis, Giuseppe Mentuccia Musical assistants: Markus Appelt, Lorenzo Di Toro Coach : Serena Malcangi Stage managers : Felix Rühle, Elisabeth Esser Light designer assistant : Bettina Hanke Set designer assistant : Bogna Grazyna Jaroslawska Costumes assistant : Petra Weikert Make up and wigs : Jean-Paul Bernau Cast Don Giovanni : Michael Volle Leporello : Riccardo Fassi /Adam Palka (10 avril) Donna Elvira: Elsa Dreisig Donna Anna: Slávka Zámečníková Don Ottavio: Bogdan Volkov Il Commandatore : Peter Rose Zerlina : Serena Sáenz Masetto: David Oštrek Actors : Martina Böckmann, Judith Höllerer, Julia Lerch, Natalja Pickert, Janna Schlender, André Kallenbach, Leander Niehaus-Schmidt, Norbert Schallau, Christoph Taube, Ralf Stengel Actors department: Natalie Gehrmann Staatsopernchor Staatskapelle Berlin Photos : © Matthias Baus About the staging Vincent Huguet Parce que c’était lui Comment aborder Don Giovanni après #MeToo ? Hier séducteur, aujourd’hui prédateur, jadis galant, maintenant harceleur, le « grand seigneur méchant homme » dont parlait Molière devrait la mettre en veilleuse et rejoindre dans (voire à) l’ombre les parias que les dernières années ont chassé de la scène : hommes politiques, producteurs, cinéastes, écrivains et artistes en tout genre car c’est là un fait très remarquable que l’immense majorité des concernés sont des hommes. Nul ne songe à remettre en cause ce salutaire aggiornamento, dont on espère qu’il modifiera les comportements et les règles pendant longtemps, mais nul n’est assez naïf non plus pour croire que cette prise de conscience et cette indignation d’une ampleur inédite suffiront à éteindre un feu aussi puissant que celui qui emporte Don Giovanni vers la mort à la fin de l’opéra. C’est justement pourquoi nous avons besoin de Don Giovanni maintenant, pas de n’importe quel séducteur invétéré, non, mais de celui de Mozart et Da Ponte, celui qui chante sous les fenêtres, crie son amour des femmes et de la liberté et jusqu’au dernier instant refuse de se repentir. On a besoin de revenir à lui parce que Mozart et Da Ponte sont des spécialistes de la question et qu’ils ont particulièrement travaillé cette figure du séducteur, qui probablement les fascinait par sa complexité : à bien des égards, le personnagedu Comte Almaviva, dans Le nozze di Figaro, élaboré un peu moins de deux ans avant (1786), est une ébauche de Giovanni, plus caricaturale : il souhaite rétablir le « droit de cuissage », il chasse sans vergogne parmi les membres de sa maison, ses procédés sont assez grossiers pour faire rire mais pas assez pour fonctionner. Échec au Comte, décrètent Mozart et Da Ponte dès leur premier opus commun, composant un final particulièrement humiliant pour lui, qui en sort perdant. Don Giovanni leur permet d’aller plus loin dans cette exploration et de livrer un deuxième portrait plus complexe et plus troublant, où le Comte benêt se serait paré du charme et de la malice de Chérubin et aussi du charisme de Don Alfonso dans Così fan tutte. Car c’est bien ce qui fait la patte de Mozart et Da Ponte, cette allergie au manichéisme, cet art du renversement et de la dualité qui rendent tout jugement délicat, voire impossible. On est au cœur du sujet : dès la première scène de l’opéra, on assiste à une scène violente où un homme, après avoir vraisemblablement abusé d’une jeune femme (Anna), tue son père (le Commandeur) qui vient la défendre puis s’enfuit. Devant tant d’évidence, la cause devrait être entendue et pourtant elle ne l’est pas : même les protagonistes qui ont vécu la scène semblent douter (Ottavio) et les tentatives de « confondre » un coupable qui par ailleurs a bien peu l’air d’un assassin échouent les unes après les autres, comme si Don Giovanni devait pour toujours échapper à la justice des hommes, comme s’il était le grain de sable qui empêche la machine judiciaire d’effectuer son travail. Alors pourquoi ? « Parce que c’était lui », soufflerait peut-être Elvire, elle qui jusqu’au bout fera tout pour le sauver, l’emmener loin de là où il est de plus en plus menacé, « parce que c’était lui » confesserait sans doute Anna, qui trouve en lui un amant infidèle, peut-être brutal, mais apparemment plus convaincant que son angélique fiancé (Ottavio), « parce que c’était lui » admettrait Zerline, qui avec lui joue avec le feu et, sans doute parce qu’elle est la plus jeune, incarne le mieux les ambiguïtés de la séduction. Et ce constat concerne aussi les hommes, Leporello, qui dès le début avoue qu’il veut être Don Giovanni, Ottavio, tellement attaché à son cher ami que malgré l’air d’Anna, il n’est toujours pas convaincu de sa culpabilité et même Masetto, qui ne se départit pas d’une certaine admiration. Toutes et tous, ils sont autour de lui, tout le temps, ils le cherchent, ils le suivent, lui demandent des faveurs, le câlinent ou l’accusent et quand il n’est pas là ils en parlent encore. Quelle énergie dégage-t-il pour qu’ils restent ainsi à tourbillonner autour de lui comme des papillons amoureux ? Faire de Giovanni un grand photographe de mode, à l’image d’artistes de légende comme Helmut Newton ou Peter Lindbergh, c’est commencer à comprendre cette addiction : véritable miroir de la beauté des femmes, le photographe peut même en être le révélateur, le découvreur. Dans le périmètre sacré de son studio, son regard est maître, il règle les lumières et choisit les modèles tout comme « l’instant décisif ». Il en joue, il en abuse, et d’autant plus qu’il sait bien que la limite est floue entre ce que son art exige et ce que son désir réclame. Et elles ? « Vorrei e non vorrei » soupire Zerline, « je voudrais et je ne voudrais pas » : on ne saurait mieux résumer la situation et, bien souvent, la musique de Mozart va encore plus loin que les mots de Da Ponte pour faire surgir des sentiments incertains, qui entre des accents violents s’abandonnent à d’incroyables voluptés, qui tentent de se ressaisir mais ne résistent pas à l’appel des sens et se font à nouveau légers. Finalement, le seul qui ne succombe pas au charme de Don Giovanni (quoiqu’il ne cesse de lui réclamer une invitation à dîner…), c’est le Commandeur, et pour cause : il est mort. Et c’est aussi le seul qui sera capable de le juger et de prononcer contre lui une peine capitale. Autrement dit, il faut appartenir au monde des morts pour pouvoir condamner Don Giovanni car les vivant(e)s, eux, n’y parviennent pas, aveuglés par leurs contradictions, empêtrés dans leurs propres désirs. Dans un final doux amer, ils nous donnent l’impression que la vie va leur paraître bien normale sans lui… Donc Don Giovanni coupable, forcément coupable, c’est la mort qui le dit.