To be or not to be

William Shakespeare & Henry Purcell

To be or not to be

William Shakespeare & Henry Purcell

Créé le 29 mai 2016 à l’Opéra de Rouen Normandie – Théâtre des arts.
Durée 1h
Coproduction Le Poème harmonique et Opéra de Rouen Normandie.

Création

Direction artistique : Vincent Dumestre
Dramaturgie, dialogues : Ivan Alexandre
Mise en scène : Vincent Huguet
Costumes : Clémence Pernoud
Lumières : Bertrand Couderc

Distribution

Direction musicale : Vincent Dumestre
Contre-ténor : Nicholas Tamagna
Comédien : Geoffrey Carey
Clavecin, jeu : Elisabeth Geiger

Orchestre du Poème Harmonique

Programme

Musique : Henry Purcell, sauf mention contraire

If music be the food of love
What a sad Fate
To bee or not to bee
(Cesare Morelli) Chacony in G minor
Fairest Isle
Dido and Aeneas (
extraits)
What power art thou?
A new Ground
One charming night
Slow aire
They tell us that you mighty powers above Your Hay it is mow’d
La grande danse

Textes : William Shakespeare

Extraits de Twelfth Night, Hamlet, Richard II, Macbeth, A Midsummer Night’s Dream, The Tempest.

Photos : © Jean-Baptiste Millot

Entretien sur la mise en scène
avec Vincent Huguet

Le théâtre ou la musique

Comment est né ce projet de concert mis en espace autour de Purcell et Shakespeare ?

C’est une idée de Vincent Dumestre. Il y a un peu plus d’un an, il est venu voir les Contes de la lune vague après la pluie de Xavier Dayer que je mettais en scène à l’Opéra de Rouen. Il m’a appelé quelques jours plus tard pour me parler de ce projet sur lequel il était déjà en train de travailler avec Ivan Alexandre, qui connaît intimement Purcell comme Shakespeare et commençait à rassembler des musiques et des textes.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?

Ce qui m’a d’abord plu a été l’idée de travailler avec Vincent Dumestre et Le Poème harmonique, dont je suis le travail depuis des années ; ensuite, Ivan Alexandre, que je connaissais un peu et avec qui j’ai été très heureux d’échanger, et aussi Geoffrey Carey, qui est un acteur – et un homme – hors du commun, que je croise depuis des années, mais avec qui je n’ai encore jamais travaillé. Bien sûr Shakespeare, bien sûr Purcell ! Mais les vivants, ça compte aussi. Beaucoup.

Est-ce votre première incursion dans la musique baroque ?  

J’ai déjà abordé Purcell, d’abord dans ma vie, depuis très longtemps, et sur scène l’an dernier, avec un spectacle que nous avons créé à la Scène nationale d’Alençon et à la Philharmonie à Paris et qui tourne cette année aussi : Love I Obey, autour de Rosemary Standley. C’est un récital « mis en espace », avec quelques toiles peintes (prêtées par l’Opéra de Rouen, qui en conserve une collection unique en France), des lumières et des costumes réalisés par Clémence Pernoud qui travaille également à mes côtés pour ce nouveau spectacle. Rosemary Standley y interprète deux chansons de Purcell, parmi d’autres chansons issues du répertoire du folk américain. Et en bis, elle chante une chanson des Pogues et une autre d’Henri VIII. Elisabeth Geiger accompagne aussi bien l’une que l’autre au clavecin et je suis heureux qu’elle fasse également partie de ce To be or not to be à Rouen. Peut-être grâce à cette expérience, la première chose à laquelle j’ai pensé pour préparer ce spectacle est le swinging London des années 1970, où Purcell revient en grâce, cité par the Who ou dans la musique du film de Kubrick, Orange mécanique.

En quoi l’univers Shakespearien vous est-il intime ?

Je crois que Shakespeare fait partie de ces auteurs avec lesquels nous entretenons tous une relation personnelle, même si elle se limite à quelques mots, d’où le titre du spectacle – To be or not to be – qui est probablement l’extrait d’une pièce de théâtre le plus connu au monde. L’idée est d’aller plus loin que ces quelques mots et de faire entendre certains des plus beaux passages de Shakespeare . On pourrait penser que, hors de leur contexte, ces longues tirades perdent leur sens mais je crois qu’il n’en est rien car Shakespeare met ses personnages dans des situations où soudain ils sont dans un tel état émotionnel qu’ils vont tout avouer, ou tout abandonner, tout tenter… Ils sont capables d’ouvrir des fenêtres que nous n’avions pas devinées car nous n’avions même pas vu les murs. Ses personnages sont souvent des funambules en dessous desquels on retient sa respiration parce qu’ils pourraient tomber et nous avec eux. Et puis ils continuent de nous accompagner longtemps après que le rideau est tombé, comme le font aussi les personnages de Proust, par exemple. On peut oublier leurs mots mais pas leur message.

Quels ont été vos axes de travail ?

Imaginer une soirée où alternent airs et pièces instrumentales de Purcell et extraits de Shakespeare est à la fois très réjouissant, mais aussi très étrange, car cela suppose une forme qui, pour ne pas être inédite, n’est pas toujours évidente : ou on assume le côté un peu artificiel et on parle d’une « lecture / récital » ou on essaie de voir comment la musique et les mots peuvent se répondre en imaginant une histoire. C’est ce que nous avons fait en imaginant une situation de départ entre un chanteur et un acteur qui, suite à un malentendu, se disputent la scène. Commence alors entre eux un dialogue qui en réalité se poursuit depuis des siècles : qu’est-ce qui compte le plus entre les mots et la musique ? Aime-t-on une chanson pour sa mélodie ou pour ses paroles ? Richard Strauss a composé un opéra sur ce thème, Capriccio, et c’est dans cette direction à la fois très sérieuse et très futile que nous sommes partis.

Faire dialoguer un chanteur et un comédien sur scène a t il constitué un enjeu singulier ?

Oui, et je crois que c’est l’un des aspects les plus excitants de ce projet. Chanteurs et comédiens partagent de fait souvent la scène, de plus en plus au théâtre d’ailleurs, mais aussi à l’Opéra où rares sont les productions qui n’emploient pas d’acteurs, et pas seulement pour faire de la figuration, comme on dit encore avec un dédain injustifié. En revanche, il est vrai qu’ils ne s’y parlent pas si souvent. Nicholas Tamagna et Geoffrey Carey sont de deux générations différentes, l’un entend défendre le théâtre, l’autre la musique, mais peut-être qu’au bout d’un moment, ils commencent à se rendre compte qu’ils parlent de la même chose.

La mise en espace diffère d’une mise en scène d’opéra. Quelle richesse et quelle contrainte cela implique dans votre travail ?

J’ai récemment compris que « mise en espace » signifie en fait « mise en scène » mais sans budget… Je plaisante, mais disons que c’est un peu vrai, on parle de mise en espace quand on demande à un metteur en scène d’intervenir, mais plus « légèrement », presque sans décor ni costume ni lumière et presque sans répétitions, autrement dit presque sans tout ce qui fait une mise en scène. Il reste néanmoins ce qui est au cœur même de la mise en scène : des idées, une façon de raconter l’histoire qu’on a construite à partir des éléments et des contraintes que l’on a. Travailler vite et avec peu. J’ai toutefois la chance d’avoir avec moi Bertrand Couderc pour les lumières et Clémence Pernoud pour les costumes, et même si eux doivent faire face aux mêmes contraintes, je crois que l’on peut obtenir une fraicheur, quelque chose qui n’est pas encore mûr mais qui a cette verdeur, ce charme qu’ont les esquisses. J’ai vu à New York le mois dernier une exposition intitulée « Unfinished » sur les œuvres inachevées. Je trouve ça très beau.

Qu’est-ce qui vous anime dans votre démarche artistique ?

Quand je vais au théâtre ou à l’opéra, et que la lumière s’éteint, j’ai envie d’y croire, d’oublier après quelques minutes que je suis dans un théâtre. C’est ce que je recherche avec les acteurs et les chanteurs comme avec les artistes de mon équipe ; quelque chose qui se construit ensemble et qui n’a pas besoin d’être naturaliste ou réaliste pour qu’on y croit. Il s’agit d’autre chose, de l’intensité d’un geste, d’un regard, de toutes ces impressions qui nous parviennent de la scène. Pour cela, il faut non seulement que les acteurs et les chanteurs trouvent leur voie dans l’œuvre, mais aussi qu’ils le fassent ensemble ; le metteur en scène est là pour les accompagner dans ce processus qui est très passionnant mais fragile. Ce qu’on espère, c’est le moment où on est surpris par l’œuvre, par le texte ou par la musique, par ce qu’on est en train d’en faire, quand soudain on a l’impression de découvrir ou de comprendre quelque chose qu’on n’avait pas vu, de ressentir un sentiment auquel on ne s’attendait pas. D’où l’idée de confrontation comme celle qui est au cœur de ce spectacle : Shakespeare et Purcell ne se sont pas connus, et pour cause, Shakespeare serait mort en 1616 et Purcell est né en 1659, mais que se passe-t-il quand les mots de l’un se frottent à la musique de l’autre ?